Saint-Esprit, le 24 mars 2017 — Après avoir subi le train de la nouvelle gouvernance de l’État depuis plusieurs années, la Table régionale des organismes communautaires de Lanaudière (TROCL) a depuis cet automne cessé de suivre. Elle s’est arrêtée pour tenir cet hiver une vaste consultation auprès de ses membres intitulée « il était une fois, la gouvernance de l’État, le développement social et la philanthropie. »
La politique dominante au Québec : la privatisation?
Pour comprendre ce qu’est la nouvelle gouvernance de l’État, les membres ont d’abord démystifié l’idéologie néolibérale. Cette idéologie politique avance que les gouvernements doivent déréglementer les marchés (produits et services) pour libéraliser l’économie. En agissant de la sorte, les entreprises ont beaucoup moins de contraintes pour accéder à des marchés comme celui des services publics. Le Fonds Monétaire International recommande la privatisation des services publics comme la gestion de l’eau, les soins de santé, les infrastructures, etc. Les Québécoises et les Québécois sont de plus en plus témoins et victimes du néolibéralisme, car plusieurs formations politiques, portant cette idéologie, souhaitent « diminuer la taille de l’État » avec un lot de mesures néolibérales. On remarque cela par l’utilisation accrue de la sous-traitance au privé dans l’administration et l’offre des services publics, et ce, malgré des risques connus comme la collusion, imputabilité et la réduction de l’accessibilité aux services. Au Québec, ceci met en péril l’accessibilité, la gratuité et l’universalité des services publics ou des programmes sociaux. Le mouvement communautaire autonome est quant à lui victime de son instrumentalisation par le gouvernement dans le but de compenser la réduction de la taille de l’État et la diminution des services à la population. Devant ces constats, les participantes et les participants ont rapidement saisi que le néolibéralisme et la privatisation des services publics fragilisent autant nos programmes sociaux qu’ils menacent l’autonomie d’agir et les pratiques citoyennes du mouvement communautaire autonome.
Une nouvelle gouvernance déshumanise les programmes sociaux et les services publics
Les participantes et les participants ont ensuite fait des liens entre cette pensée politique et l’imposition de la nouvelle gouvernance dans les organismes communautaires autonomes par des ministères comme celui de l’Éducation ou de l’Emploi. La nouvelle gouvernance s’observe lorsque le gouvernement gère de plus en plus les ministères et les programmes avec des principes d’entreprise connus (multiplication des mesures de contrôle et de reddition de comptes, principe de rentabilité, contrôle des dépenses, des citoyens maintenant devenus des contribuables, efficacité, processus, etc.) Dans la région, cette nouvelle gouvernance menace la survie de certains organismes, diminue la qualité des services publics et déshumanise les personnes qui les utilisent.
« Nous comprenons le besoin de mieux gérer l’État, par contre cette nouvelle gouvernance a des impacts négatifs bien réels sur les citoyennes et les citoyens (enfants, aînés, malades, victimes, etc.). Par exemple, l’Association régionale des loisirs des personnes handicapées de Lanaudière (ARLPHL) qui œuvre efficacement depuis 35 ans auprès des personnes handicapées est menacée de fermeture, car le Conseil du trésor a décidé de modifier le processus administratif d’octroi de la subvention le 31 mars prochain. Il imposera désormais un processus d’appel d’offres public pour financer ce que fait déjà l’association, qui coûtera ainsi plus cher, à la place de considérer l’expertise et l’enracinement de l’ARLPHL dans sa communauté ». Un autre organisme à mandat régional, le Centre de prévention du suicide de Lanaudière(CPSL) quant à lui se fait imposer de transférer son service d’écoute téléphonique pour les personnes suicidaires la nuit (1 866 APPELLE) vers la ligne Info-Social (811) de l’Estrie afin de suivre une directive ministérielle imposée au CISSSL et de facto au CPSL! L’administration et l’argent avant la vie, c’est scandaleux, on se questionne sur la qualité de la réponse que recevra une personne en situation de crise par unE intervenantE généraliste de la ligne Info-Social alors qu’il voulait faire appel à une ressource spécialisée qui a développé une expertise reconnue par le milieu » souligne l’agent de communication et de mobilisation de la TROCL, Samuel Mainguy.
Lors de la Tournée des MRC 2017, l’une de nos membres a dénoncé la nouvelle gouvernance. Elle a souligné que maintenant la reddition de compte se résume juste aux chiffres que les fonctionnaires veulent et c’est frustrant. « Les gens qu’on aide ce ne sont pas des “Cans” de tomates. On ne peut pas quantifier toutes les interventions » comme sur une chaîne de montage. Lorsque les intervenantes et les intervenants reçoivent les gens avec des difficultés ou en situation de crise qui ont besoin d’écoute, l’approche quantitative ne répond pas aux besoins de la personne. Cette situation n’est pas exclusive au communautaire, elle se répète aussi dans le réseau public. Les travailleuses et les travailleurs sociaux, les infirmières et les infirmiers, les préposéEs aux bénéficiaires, les médecins de famille, doivent aussi minuter leur intervention. Est-ce vraiment de cette façon que nous souhaitons aider les humains? Selon nous, gérer l’État avec pour seule cible l’équilibre budgétaire, telle une entreprise, c’est trop cher payé! Une vie, ça n’a pas de prix, voilà notre vision.
Imposer, suivre ou agir collectivement?
Après avoir identifié plusieurs impacts de cette nouvelle gouvernance pour les OCA, les participantEs ont élargi leurs réflexions en portant leurs regards sur le développement social et les fondations privées (la nouvelle philanthropie). Dans le milieu communautaire, le développement social c’est l’essence de nos missions. Depuis que le gouvernement s’y intéresse et qu’il cible des clientèles spécifiques, « la TROCL et ses membres se retrouvent à suivre la vague de la nouvelle “bibitte” avec ses programmes gouvernementaux et ses contraintes sans avoir préalablement réfléchi à notre rôle et à notre autonomie » indique le coordonnateur de la TROCL, Hugo Valiquette. Le problème avec l’approche actuelle c’est que contrairement aux « fondements du développement social qui ont une visée collective, l’approche actuelle vise à accroître la responsabilité individuelle plutôt que collective. Le développement social n’est pas rattaché à une catégorie de la population (ex. personne en situation de pauvreté) comme nous le laisse entendre le gouvernement, il est en lien avec l’ensemble de la population » selon Maya Fernet agente de liaison à la TROCL. La gestion entrepreneuriale de l’État engendre des façons de faire le développement social dans la région à la manière des entreprises. On remarque aussi que la nouvelle philanthropie et les fondations privées segmentent de plus en plus à qui ils viennent en aide avec leurs offres de financement. Le gouvernement et les fondations ciblent avant tout un territoire et une clientèle pour développer un projet sans avoir une vue large sur la communauté. Plusieurs des membres ont d’ailleurs exprimé avoir subi cette vision du développement social avec des fondations privées et des structures régionales. L’approche par projets spécifiques n’est pas une approche favoriser par le communautaire, car à moyen terme les communautés s’appauvrissent lorsque le financement des projets s’épuise.
Philanthropie privée, gouvernement et sous-traitance, un mauvais mélange?
Les fondations privées proposent de plus en plus de s’associer à la nouvelle façon de faire du gouvernement. C’est en fait alarmant d’observer qu’il y a davantage d’ententes de sous-traitance des programmes sociaux entre les fondations privées, comme la Fondation Lucie André Chagnon ou le docteur Julien, et le gouvernement. Ces ententes, malgré les campagnes de relations publiques positives, traduisent plutôt un désinvestissement flagrant de l’État. En cherchant à réduire sa taille, il favorise l’administration des programmes sociaux par des ententes qui ignorent la fonction publique et qui utilisent l’altruisme des organismes communautaires autonomes affaiblis par leur sous-financement chronique. Le communautaire s’interroge à savoir si « c’est ce que nous voulons vraiment en tant que société que les intérêts des fondations privées ou des entreprises orientent et influencent les programmes sociaux du gouvernement avec ces ententes de gré à gré? » C’est à se dire que l’État marche à la pièce, à contrat, sans vision d’ensemble sur son rôle social. Les organismes dénoncent aussi que cette approche fasse constamment naître et disparaitre les services et les activités, comme si le problème social disparaissait lui aussi à la fin des ententes. L’approche par projet ne favorise pas le développement social, il fragilise les réponses aux besoins sur le terrain. Les citoyennes et les citoyens ont créé des organismes pour répondre à leurs préoccupations.
Depuis l’automne, la TROCL réfléchit aux approches actuellement initiées par le gouvernement dans le domaine du développement social afin d’établir une vision se basant sur les besoins des membres et de leurs réalités. Près d’une centaine d’organismes et plus de cent cinquante personnes ont participé à la Tournée des MRC 2017 pour réfléchir à ces enjeux et plusieurs ont affirmé qu’ils étaient très importants pour la survie et l’autonomie de notre mouvement. Pour le communautaire, les citoyennes et les citoyens ne sont pas des consommateurs de services, mais des acteurs des communautés.